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L’invention du papier, datée officiellement de 105 après J-C, reste auréolée d’un voile de mystère. A cette date, l’eunuque  Caï-Lun, haut fonctionnaire de l’Etat chinois, en mentionne l’existence dans un rapport remis à son empereur. Bien que n’en étant pas son inventeur, son nom restera intimement lié à l’apparition du papier dans la tradition chinoise, tant et si bien qu’il sera déifié et deviendra pour des générations de papetiers le Dieu Protecteur.

Gravures des métiers chinois de 1800, reproduction Norbert Pouss

Mais de quel papier parlons-nous ?

L’étude de manuscrits découverts au Turkestan, datés du IIème au VIIIème siècle après J-C démontre l’utilisation d’écorce de mûrier, de chanvre brut ou travaillé, et de différentes fibres végétales, provenant notamment de chiffons.

Ces chiffons, ces écorces et ces végétaux étaient placés dans un mortier et arrosés d’eau, puis pilés à l’aide d’un maillet ou d’un pilon jusqu’au défibrement de la masse, et l’obtention d’une pâte relativement homogène.

Cette pâte étaient ensuite versée et étalée dans un moule composé d’un cadre en bois et d’un tressage de rotin qui retenait les fibres et laissait l’eau s’échapper à travers.

Avec une texture fine et absorbante, le papier chinois ainsi obtenu fit la joie des calligraphes de l’Empire du Milieu. Les bibliothèques s’étoffèrent de centaines de manuscrits. Songeons que celle de l’Empereur T’ai Tsung (627-649) compta  jusqu’à 20 000 volumes !

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La civilisation arabe importait d’Asie Centrale le papier qu’elle employait. Mais le monde musulman, en pleine expansion, ne se contenta pas d’acheter le papier chinois. En 751, une coalition militaire turco-arabe se présenta aux portes de l’empire, et livra bataille sur les rives de la rivière Talas, dans le Kirghizistan actuel.

Victorieux, le calife de Bagdad fit prisonnier les nombreux papetiers chinois du territoire.

La première fabrique de papier de Bagdad fut installée en 794-795, sous le règne d’Haroun Al Rachid.

Très vite, des fabriques se propagèrent à travers le monde musulman, et atteignirent la péninsule ibérique.

En 1150, le voyageur arabe El Edrisi pouvait écrire de la ville de Xativa, près de Valence : « On y fabrique un papier sans égal dans le monde civilisé, qu’on exporte aussi bien en Orient qu’en Occident ».

Le brassage de la population dans ces territoires, ainsi que la Reconquista, permirent d’initier le monde chrétien à la fabrication de papier. Une introduction qui ne se fit pas sans réticence. Outre la faible résistance de ce dernier, que l’on opposait à la rusticité du parchemin, cette matière était vue par l’Eglise d’un mauvais œil du fait de ses origines présumées islamiques.

Dans le même temps, le papier pénétra en Europe via la Sicile.

Le plus ancien document sur papier écrit en Europe non chrétienne vient justement de Sicile. Il s’agit d’un acte du roi Roger, en latin et en arabe, daté de 1109.

Le dynamisme économique de la péninsule italienne lui permit rapidement de devenir le principal centre de fabrication de papier du monde occidental. L’expansion du papier en Occident, due au développement de l’acte écrit, public ou privé, mais aussi religieux, débute au XIIIème siècle. On trouve dès 1248 à Marseille des registres notariés en papier ; en 1340, les scribes de la chancellerie royale française utilisent des registres de papier, etc.

Mais ce matériau va s’enrichir de plusieurs découvertes : le moulin hydraulique avec arbre à cames, la forme à fils métalliques et l’encollage à la gélatine sont trois innovations majeures dans sa fabrication qui distinguent l’Occident médiéval de ses prédécesseurs chinois et musulman.

Etapes fabrication - Encyclopédie 001Les premiers moulins à papier, en Italie, adaptent les arbres à cames et les maillets pour la trituration des chiffons. Ces maillets remplacent la meule des arabes, et le pilon des chinois. La fabrication de la pâte s’en trouve réalisée plus rapidement, d’où un rendement des moulins décuplé et un prix de revient du papier en baisse.

Autant de circonstances qui permettent une expansion plus large de ce support d’écriture. La forme occidentale permet quant à elle de coucher le papier sur des toiles en feutre, empilées les unes sur les autres. L’encollage à la gélatine enfin, permet une plus grande efficacité que l’amidon de blé ou de riz, communs dans les mondes musulmans et asiatiques. Ces innovations occidentales permettent d’obtenir un produit plus résistant, fabriqué plus rapidement et en plus grande quantité, et se prêtant avec facilité à l’écriture.

Du XIIIème siècle au  XVIIIème, la technique de fabrication n’évolua guère. Les moulins à papier se multiplièrent, au point d’en compter plusieurs centaines. Le siècle des Lumières vit arriver de nouvelles expérimentations, sur l’encollage du papier notamment, qui ne se révélèrent avec le temps que peu efficace pour assurer la préservation des papiers. Les piles à maillets firent place aux piles hollandaises afin de défibrer les chiffons. Le XIXème siècle mécanisa la fabrication et vit l’utilisation du bois comme matériau de base de la pâte à papier.

Les derniers moulins disparurent avec la Révolution Industrielle, au XIXème siècle. Certains papetiers modernisèrent leurs installations, et passèrent d’un artisanat local au monde concurrentiel et mondialisé de l’industrie. La plupart fermèrent, ne laissant plus au bord de nos rivières que le souvenir estompé d’un monde et d’une société disparue.

Mais le papier artisanal ne rendit pas son dernier souffle pour autant. Toujours fabriqué traditionnellement en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, il se perpétua jusqu’à nos jours. En occident, il fallut attendre les années 1940 pour voir renaitre un premier moulin à papier en France. D’autres suivirent, notamment dans les années 60. Aujourd’hui, une petite quinzaine de sites dans l’Hexagone font revivre cet artisanat presque oublié. Certains se veulent avant tout des sites touristiques, proposant une carte postale de ce que fut la fabrication du papier, d’autres, moins accessibles peut-être, font vivre au quotidien ce savoir-faire discret.

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