Le papier sur lequel fut imprimée la première édition de Don Quichotte provenait du moulin à papier de la chartreuse d’El Paular, situé sur la commune de Rascafría, non loin de Madrid. Au XVIIe siècle, quarante ouvriers travaillaient au moulin à papier. On avait érigé à l’emplacement du moulin une auberge pour abriter la communauté féminine, qui fut abandonnée en 1950 et dont il ne reste que quelques ruines. On peut par contre identifier, près d’une allée de peupliers qui mène au pont du Pardon, les vestiges des bassins et rigoles qui alimentaient le moulin en eau.

Clocher du monastère d’El Paular

Malgré la qualité de l’eau du Lozoya, descendante des montagnes de Guadarrama, le papier d’El Paular n’avait pas bonne réputation, comme tous les papiers espagnols de l’époque. On le disait grumeleux, contenant de nombreuses impuretés, de couleur brune et rapidement friable. Néanmoins, la demande était forte et le papier d’Espagne, moins cher que celui d’Italie ou de France. Le moulin fournit du papier trois siècles durant (du XVIème au XVIIIème siècle) pour les imprimeries et les administrations madrilènes.

Un incendie ravagea le moulin en 1625. Trop pauvres pour le reconstruire, les moines durent patienter 15 ans et demandèrent de l’aide au Roi afin de les exempter de l’impôt sur le papier, ce qui leur fut accordé. Le moulin de Paular aurait produit, d’après les comptes du monastère, 8000 rames de papier destinées à l’impression entre le 17 novembre 1641 et le 31 décembre 1644, soit une moyenne annuelle de 2600 rames, ce qui est très peu. A titre de comparaison, un « best-seller » de l’époque pouvait nécessiter jusqu’à 7000 rames.

Ce papier, de faible qualité, réalisé par des ouvriers peu qualifiés, ne put rivaliser face aux papiers génois. Sous son sobriquet de « papel de la tierra », il se vendit malgré tout en raison de son faible coût, à une époque où le papier représentait 50% du prix de revient d’une édition.

Conséquence inévitable : l’édition espagnole était très chère, en raison du coût de l’importation du papier depuis l’Italie ou la France, et le prix des livres espagnols fut un frein important pour leur diffusion dans le reste de l’Europe.